Marius Berthelot
Transcription d'un entretien réalisé en novembre 2001 pour les 80 ans de Marius Berthelot.
Marius, êtes-vous une enfant de Villars ?
Je suis né au 4, rue du Breuil le 25 novembre 1921. Je suis d’une famille de Villardaires. Ma mère [Claudine Touche] était veuve de guerre. Son mari [Gaspard Malosse] est mort en 1915 [en réalité décédé à son domicile rue du Breuil le 28 janvier 1916 de maladie aggravée en service]. Elle s’est remariée avec mon père en 1920 [en réalité 1923, JM Berthelot 1889-1955]. À la maison nous étions cinq garçons et quatre filles. Quand j’ai eu 10 ans, on est allés s’installer à la Sapinière, au puits Gallois. Le vrai nom du coin c’était « les Joncs ». Et puis quand je me suis marié, je suis venu m’installer à Curnieu.
Vous êtes allé à l’école ici ?
À l’époque à Villars il y avait environ 2500 habitants [en réalité en 1921 il y avait à Villars 3063 habitants] et une seule école primaire, au Bourg. Il y avait quatre classes pour les garçons vers la Poste et quatre pour les filles de l’autre côté, rue des écoles. Il n’y avait pas de mélange. J’ai eu le certificat d’étude à 11 ans et demi [D’après le registre scolaire de l’école du Bourg, Marius a obtenu son certificat d’études primaires en juin 1933 avec la mention marginale « élève intelligent »]. Après pour moi l’école ça a été terminé. Je suis allé travailler chez les paysans où je gardais les vaches. J’ai fait ça jusqu’au 24 septembre 1936 date à laquelle je suis rentré aux Mines. Mon père était mineur et trois de mes frères y ont travaillé.

Comment se sont passés vos débuts à la mine ?
J’ai commencé ici, au dépôt à Villars. Au début j’ai travaillé vers les clapeuses pour assurer l’entretien du secteur. Ensuite j’ai travaillé à l’incinération du charbon. On faisait des prélèvements pour tester la teneur en cendres. Le dépôt de la mine a fermé en 1937. On m’a envoyé travailler au puits de la Loire pour empiler les bois qui servaient à étayer le fond des mines. On m’a proposé de descendre au fond, je n’avais pas 17 ans. Le fond c’était plus intéressant et mieux payé. Quand j’ai débuté à la mine on gagnait 14 francs. Au fond, en tant que manoeuvre, on avait tout de suite 10 francs de plus. J’ai dit oui. Je n’attendais que ça. Même si ma mère ne voulait pas, elle me trouvait trop jeune pour descendre.
Et le travail au fond ?
Je voulais venir travailler à la Chana avec mon père. On aurait été ensemble pour casser la croûte. Ça aurait facilité le travail de ma mère. Mais l’ingénieur où je travaillais n’a pas voulu me laisser partir. J’ai donc commencé au fond, au puits Sainte-Marie [situé dans l’actuel parc de Montaud], où j’ai travaillé comme tous ceux qui débutaient, avec une grande pelle. On appelait ça un journal. On déblayait le charbon des piqueurs de taille. Après on m’a mis avec des ouvriers qualifiés pour apprendre à travailler les boisages. C’est ce qu’on appelle le travail d’élevage. J’ai appris à bien me servir d’une hache.
Et la guerre est arrivée…
J’ai finalement obtenu ma mutation à la Chana juste quinze jours avant la déclaration de guerre. Je n’avais pas tout à fait 18 ans. J’ai commencé à faire le piqueur. À la mobilisation (septembre 1939) beaucoup de mineurs sont partis. Je me suis accroché avec le gouverneur et j’ai quitté la mine. Je suis reparti vers mon ancien patron qui était paysan, rue de Curnieu. Il faisait aussi les enterrements, il avait un corbillard et des chevaux. Je ne faisais pratiquement que ça. J’y suis resté un an. Et puis je suis revenu à la mine, au puits de la Chana, avec un marteau-piqueur. Là par contre, j’ai été réquisitionné jusqu’à la fin de la guerre.
Comment étaient les conditions de travail ?
Au fond, il faisait souvent une chaleur étouffante. Je me rappelle au début on travaillait « à poil » avec juste des chaussettes aux pieds et une casquette sur la tête. On finissait de se déshabiller sur le chantier. On n’avait pas de casque, ni même des gants. Après ça s’est quand même bien amélioré, on était bien mieux équipés. J’en ai vu des morts Surtout à cause d’éboulements. Mon beau-frère a été écrasé au fond par une locomotive. On avait aussi peur du grisou. Le jour de la catastrophe de la Chana, ça a pété à 4h10 du matin, moi je devais descendre à 6 heures. C’était terrible !

Et la suite de votre carrière ?
Je suis resté à la Chana jusqu’à fin 1947. Après je suis allé à la fendue Monchaud jusqu’en 1953 [les fendues Monchaud se situaient à flanc de colline entre Villars et Saint-Genest-Lerpt]. Il y avait beaucoup de charbon. Je faisais les travaux préparatoires. C’est là que j’ai commencé de travailler en avancement, en faisant tous les traçages. On recherchait la couche de charbon En 1953 on a ouvert les mines à Bourgeat, la mine de Villefosse et la fendue Neyret [a priori dans le secteur de Bourgeat, elle n’a pas été précisément localisée]. On y avait repris des chantiers jusqu’en 1960. Puis je suis retourné à côté de la Chana, on appelait ça les fendues de la gandouse [la fendue Momey]. La ville de Saint-Étienne y empilait des montagnes de saletés, ça grouillait de rats. Je suis passé sur une autre fendue, à Chavassieux. Ensuite j’ai fait du traçage au Cluzel et le quartier des Passerelles. En 1971 je suis parti à la retraite.
Qu’est-il advenu de ce passé minier ?
Le puits Couriot a continué à travailler jusqu’en 1973. Après on a envoyé tout le monde ailleurs, sur le puits Pigeot. Même à la retraite, j’ai toujours milité avec le syndicat. On s’est battus jusqu’en 1983 où le dernier puits Pigeot, à La Ricamarie, a fermé. Sur Villars, il ne reste plus rien de visible de la mine. Même pas les crassiers. Il y en avait un vers chez Denis, un vers le garage Renault, un au pied du musée. À Curnieu, il y avait tous les crassiers de la petite mine. Il n’y a qu’au puits Gallois qu’on peut encore retrouver quelques traces. Avant à Villars il y avait les passementiers et les mineurs et beaucoup de petits commerces dans les rues. Tout ça a bien changé !

Interview réalisée par Pierre THIOLIÈRE en novembre 2001.
Marius BERTHELOT est décédé le 8 mars 2006. Il repose au cimetière de Villars auprès des siens.
Photos Pierre THIOLIÈRE et famille BERTHELOT.