Quand les conserves de viande du Bois-Monzil alimentaient l'armée française.
La viande en boites et les salaisons fabriquées ici depuis 1890 avaient un indéniable renom, avec même un prix obtenu à l’exposition universelle de Paris en 1900. Et le ministre de la Guerre en personne est intervenu pour s’assurer d’un rapide approvisionnement.
C’est l’histoire d’une petite entreprise locale qu’on a oubliée. Et pourtant ce fut une belle réussite. C’est grâce à la longue enquête des services sanitaires pour lui délivrer son habilitation qu’on a pu retrouver trace de ce étonnant parcours.
Pierre (dit Pétrus) Laplace est né à Saint-Etienne en 1844. Son père était charcutier place Roannelle. Une maison fondée en 1843 et qu’il va développer. Il va d’abord épouser à Marseille Marie Catherine Boissonnet et travailler chez son beau-père qui lui aussi est charcutier dans la cité phocéenne. Mais le couple divorce en 1889 et Pétrus Laplace revient à Saint-Étienne relancer l’affaire familiale.
Il a visiblement le sens du commerce et il voit grand. Pour cela il choisit de s’installer au Bois-Monzil, sur le bord du ruisseau le Rioteau (Riotord aujourd’hui) qui va se jeter un peu plus loin dans le Furens. À cette époque il n’y a là que des prés. Sa maison est située au bord de la rue Thiers et derrière il aménage un vaste hangar séparé en trois parties.
En 1895 il obtient un gros marché de fourniture de 200 tonnes de conserves de viande pour l’Armée. Dans son hangar il a va donc procéder à l’abattage quotidien de boeufs qui sont ensuite désossés, la viande étant cuite sur place. Une chaudière verticale fournit la vapeur qui fait fonctionner les hachoirs mécaniques ainsi que l’autoclave pour la mise en conserve. En parallèle Pétrus Laplace développe le commerce de lard, de jambons et de saucissons. Et là encore les porcs sont abattus sur place.
Mais la tuerie d’animaux ainsi que la salaison et la préparation des viandes rentrent dans le classement des établissements insalubres. Et les services sanitaires mandatés par le préfet vont enclencher une lourde procédure administrative.
Laplace ne l’entend pas de cette oreille estimant que « les bouchers de Villars et de Saint-Priest ainsi que les gros charcutiers de Saint-Étienne et du département font chez eux, en pleine ville et sans autorisation les mêmes fabrications qu’il compte faire ».
Le ministre de la Guerre s'en mêle.
La Préfecture le menaçant de fermeture, il va donc faire jouer ses relations du côté de l’Armée. L’affaire est tellement prise au sérieux que le ministre lui-même va intervenir rappelant au préfet « l’intérêt que le Parlement porte à la création en France de l’industrie des conserves de viande et les avantages que le pays retirerait de cette mesure au point de vue du ravitaillement de l’Armée en cas de guerre ». L’intendance militaire apporte donc sa caution en certifiant « qu’un vétérinaire du 30è Dragons examine tous les animaux abattus par M. Laplace ».
La Préfecture va donc surseoir sa décision jusqu’à la fin du marché avec l’Armée, mais pour mieux revenir à la charge par la suite. À l’automne 1896 une enquête publique est ouverte. Les deux communes de Villars et de Saint-Priest donnent un avis favorable. Seuls les héritiers Gillier, propriétaires des terrains voisins et Jean-Baptiste Grange leur fermier relèvent « que le ruisseau devient infect avec le déversement des détritus » et évoquent « la mauvaise odeur » causée par cette activité qui emploie une douzaine d’employés. La commission au terme de son inspection du site, donne finalement son approbation avec quelques aménagements à y apporter : « Cimentage, pavage des sols et utilisation de liquide désinfectant au sulfate de cuivre pour la fosse à détritus ».
Preuve de qualité de la production réalisée sur place, en 1900, la maison Laplace remporte la médaille d’argent de produits en conserve, lors de l’exposition universelle de Paris.
En 1909, Laplace qui a alors 65 ans et entend profiter d’une heureuse retraite revend son affaire à Dumazeau, charcutier stéphanois bien établi. Après la Grande-Guerre, l’entreprise deviendra Demeure et Cie puis sera revendue à Faure et Chalandon puis à Faurand et Noiret en 1928.
On perd ensuite la trace de la salaison qui sera ensuite transformée dans les années 50 en vinaigrerie que les anciens du Bois-Monzil ont tous bien connue.
Quant à Pétrus Laplace, il s’est éteint en 1926 à Saint-Etienne à l’âge de 82 ans vivant de ses rentes.
Sources : archives départementales de la Loire / affaires sanitaires ; état civil ; presse ancienne
©H&P-Pierre THIOLIÈRE